Pour une politique de lutte contre le gaspillage alimentaire en restauration collective
Par Pierre Ravenel, directeur de Factea Durable, Anne Tison, directrice de Biens Communs et de Bruno Houppermans, gérant de Chef’Eco.
Boulogne-Billancourt, le 11 avril 2012. En ces temps de crise économique, la réduction des dépenses est un sujet de réflexion récurrent. A fortiori dans un contexte électoral où les débats font du sur-place entre tenants de la rigueur et adeptes de la relance… Il existe pourtant, en la matière, des champs d’actions laissés pratiquement à l’abandon, alors même que ceux-là mettraient tout le monde d’accord. La lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie de ceux-là. Et en particulier dans le domaine de la restauration collective qui présente l’avantage d’être un secteur économique tout à fait conséquent en France et de concentrer entre les mains de quelques milliers d’acteurs publics et privés un pouvoir d’action considérable. Anecdotique, négligeable, utopique ? Regardons de plus près…
Quelques chiffres sur le gaspillage alimentaire en restauration collective… Faisons ensemble un peu d’arithmétique avec le cas d’un collège, ouvert 150 jours dans l’année et servant 600 repas par jour. On constate qu’en moyenne, 25 % des aliments achetés y sont jetés. Ces déchets proviennent de la préparation des repas, des aliments présentés aux élèves au self mais non servis, ou encore, bien sûr, des restes qui sont laissés sur les plateaux. Sur l’ensemble de ces déchets, on estime qu’au moins la moitié correspond à un gaspillage non seulement manifeste mais évitable. Soit 12,5% des aliments qui sont achetés, cuisinés, pour finalement être jetés. Un triple coût donc : la facture du fournisseur, les moyens consacrés à la préparation en cuisine et finalement le coût de traitement des déchets (qui va grandissant).
Ces chiffres sont non seulement attestés par les observations de terrain mais constituent même dans bien des cas le bas de la fourchette. Si le coût des denrées représente 2 euros par repas (chiffre généralement constaté dans l’enseignement secondaire), l’établissement gaspille un peu plus de 20 centimes par repas, ce qui représente un manque à gagner annuel de 22 500 euros ! Et nous ne parlons pas ici d’un restaurant très important.
En France, 4 milliards de repas sont servis chaque année en restauration collective. Les mêmes ratios appliqués à ces 4 milliards de repas nous montrent que l’économie potentielle s’élève nationalement à 1 milliard d’euros. Non seulement vous avez bien lu, mais encore les hypothèses prises sont volontairement prudentes.
Même si le phénomène du gaspillage alimentaire en restaurant collectif relève de plusieurs facteurs, il en est un qui revient comme un leitmotiv, au moins dans le milieu scolaire : « la cantine, c’est pas bon ». Or, ce jugement à l’emporte-pièce, maintes fois entendu, est bien souvent un a priori plus qu’une appréciation objective de la qualité. Que les convives constatent et comprennent le travail réalisé et leur avis commence déjà à changer. D’ailleurs, si la qualité n’a pas toujours été au rendez-vous par le passé, elle s’améliore chaque jour.
Le restaurant pâtit également de comportements surprenants. Estimant avoir payé un service, les convives jugent qu’ils peuvent consommer autant qu’ils le souhaitent, peu importe s’ils savent qu’ils ne mangeront pas tout au final. De leur côté, les équipes de cuisine ont parfois le service un peu trop prompt et généreux, sans nécessairement être à l’écoute de l’appétit et des envies des convives.
Les choses se jouent également en termes d’organisation. Par exemple, lors de la prévision des effectifs. Une mauvaise estimation (une classe en sortie scolaire non prévue, une épidémie de grippe…) et ce sont des dizaines de repas qui seront préparés en trop.
Par ailleurs, toujours dans le contexte scolaire, le moment du repas est assez souvent mis à mal dans les emplois du temps. Est-ce réellement un arbitrage pertinent des priorités ? A quoi cela sert-il d’encombrer la journée d’un élève de cours si le repas pris « avec un lance-pierre » ne lui permet plus de suivre correctement les enseignements ? Le repas doit retrouver toute sa place dans les emplois du temps, d’autant plus qu’il peut lui-même devenir un temps éducatif.
Dans la restauration administrative ou entrepreneuriale la volonté de laisser le choix à tous les convives jusqu’en fin de service pousse souvent à une surproduction systématique de chaque plat proposé. Alors qu’une pénurie de certains plats en fin de service pourrait être acceptée par les convives dès lors qu’elle serait expliquée.
Beaucoup de restaurants ont compris qu’il était crucial de travailler sur le gaspillage et mettent en place des actions, à leur échelle. Parfois, il s’agit de simples trucs et astuces, tels que déplacer la corbeille de pain en fin de self (réduction de moitié des quantités consommées dans certains cas), favoriser les modes de distribution en libre-service et en vrac tels que les salad’bars ou bars à soupe, mettre à disposition des micro-ondes pour permettre de réchauffer les plats, ou encore doter les convives de couteaux à viande, ce qui diminue drastiquement la quantité de viande jetée.
En termes de production, la voie est également montrée grâce à la mise en place de systèmes de réservation des repas du matin pour le jour-même. Tandis que la production des repas en juste quantité, couplée à une préparation en flux-tendu pour assurer la fin de service, permet de faire quasiment disparaître les rations inutilement cuisinées.
Néanmoins, vous l’aurez compris, le coeur du problème est comportemental et relationnel. Sur ce point, les restaurants scolaires sont particulièrement actifs et créatifs. Visites de cuisine pour les nouveaux arrivants, boites à idées, enquêtes de satisfaction, projets pédagogiques en lien avec le personnel enseignant, prise en charge du tri par les élèves (lequel crée souvent un électrochoc salutaire sur les quantités jetées)… Autant de bonnes idées qui visent à redonner du sens au repas et à rapprocher les convives et les équipes de cuisine.
Par exemple, un lycée vient de mettre en place une commission restauration qui se réunit 30 minutes tous les 15 jours. Objectif : proposer un vrai espace d’échanges entre l’équipe de cuisine et les élèves. Les résultats sont surprenants : après deux premières rencontres plutôt conflictuelles, les réunions se déroulent dans un climat positif, et les propositions d’amélioration ont pris la place des critiques du début. Au final, l’établissement constate une réduction notable du volume des déchets, et une amélioration sensible de la satisfaction des élèves et du climat général.
Toutes ces actions auraient peu de sens si l’objectif n’était que la réduction des dépenses. Mais la lutte contre le gaspillage peut être un levier formidable pour permettre de proposer une cuisine de plus grande qualité, sans augmenter le prix du ticket restaurant pour les convives.
Travailler plus de produits frais et bruts, de meilleure qualité nutritionnelle et/ou issus de l’agriculture biologique. Proposer des menus et des recettes alléchantes, favorisant le développement du goût et l’équilibre alimentaire. Voilà les buts in fine de tout projet de lutte contre le gaspillage. Cela tombe d’ailleurs très bien puisque le tout forme un cercle vertueux : la lutte contre le gaspillage permet d’augmenter la qualité (réelle et ressentie) des repas qui permet en retour de diminuer le gaspillage !
Comment imaginer qu’une telle situation perdure ? Le constat est avéré et les dégâts engendrés sont nombreux et graves. Les bénéfices à attendre de projets de lutte contre le gaspillage alimentaire sont tout aussi nombreux et précieux : limitation des impacts environnementaux de notre système alimentaire, réalisation d’économies mais également dynamisation de l’économie de proximité (utilisation de produits de saison, de qualité et… locaux !), amélioration du bien-être des élèves et recréation de lien social autour de l’acte de manger, valorisation du travail des équipes de restauration (…) ! Et encore les actions possibles et résultats à atteindre sont-ils bien plus nombreux que les quelques exemples cités ici.
Faudra-t-il attendre que l’année européenne du gaspillage alimentaire (2014) nous ouvre les yeux ou bien allons-nous prendre les choses en main dès aujourd’hui ?
Il est à se demander, d’ailleurs, si la lutte contre le gaspillage alimentaire ne mériterait pas de faire l’objet d’une législation assortie d’objectifs chiffrés de réduction, comme le Grenelle l’a fait, par exemple, en matière de performance énergétique des bâtiments, de traitement des biodéchets ou d’introduction du bio dans la restauration collective. Le gaspillage alimentaire représente des enjeux tout aussi importants et une action concrète et efficace est possible !
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