Origine historique du Droit commercial en France
Le Droit commercial, branche du Droit privé, au même titre que le Droit civil (droit commun s’appliquant à tous), est l’ensemble des règles juridiques applicables aux commerçants dans l’exercice de leur activité professionnelle et régissant aussi, quoique de manière plus exceptionnelle, l’activité commerciale, voire les actes de commerce accomplis par toute personne.
L’inexistence, à Rome, d’un droit commercial spécial pour les commerçants, implique que ce droit n’apparait en Europe, comme branche autonome du droit, qu’au Moyen Age et plus particulièrement à la fin du XIè siècle dans certaines villes d’Italie (Venise, Gênes, Florence), de France (les “Villefranches”) et de Suisse et d’Allemagne (les “Freiburg”) qui ont obtenu leur indépendance et où le pouvoir politique est exercé par des commerçants, marchands ou banquiers.
L’Europe sort alors de la période “noire” de l’an 1000, celle des barbares, des fiefs en guerre et des brigands qui compliquent voire rendent impossibles les échanges entre commerçants. A cette époque le droit est composé d’une infinité de coutumes d’application territoriale, faites pour des communautés rurales qui vivent sans commerce et repliées sur elles-mêmes.
Dans cette France rurale du Moyen Age la société est composée de trois “états” : le clergé (privilège de la lecture et de l’écriture), la noblesse (souveraine des fiefs et propriétaire du sol) et le tiers état (serfs, manants, vilains). De cette catégorie d’artisans et d’ouvriers nait celle des marchands (fabrication, commerce) : ne pouvant acquérir les privilèges des clercs et des nobles ils s’émancipent et créent leur propre “classe”, ce qui démontre que le droit commercial est, à ses débuts, un droit de réaction.
Grâce aux marchands le XIIè siécle voit l’apparition de “bourgs” organisés en communes puis de foires et de marchés, ce qui entraîne la renaissance du commerce (accroissement des échanges) puis la nécessité d’élaborer et d’appliquer un droit nouveau fondé sur l’équité et les usages des marchands. A ses débuts ce droit est avant tout un droit professionnel (achats et ventes) et un droit associé au commerce de mer. Il est organisé au sein des villes par les “consuls” ou “juges consulaires” sortes de conseillers municipaux et de juges élus par les marchands qui appliquent des usages professionnels inspirés du droit romain (fondé sur l’égalité entre citoyens) et du droit canonique (avec l’hostilité au profit en moins) tout en cherchant à établir les rapports entre commerçants en dehors des coutumes et des autorités locales (clercs, nobles). C’est ainsi qu’apparaissent les règles de droit commercial relatives aux échanges, au transport maritime, aux sociétés, aux lettres de change, à la banqueroute (faillite).
Les juges consulaires, à l’origine de nos tribunaux de commerce, résolvent les litiges nés entre commerçants et justifient leurs décisions en invoquant les usages et la bonne foi. Les autorités locales reconnaissent volontiers la compétence de ces juridictions commerciales : la constitution d’une ville, l’institution d’un marché ou d’une foire comportent généralement l’octroi de chartes qui concèdent aux autorités municipales, ou aux commerçants le droit d’établir une juridiction et de statuer sur certaines catégories de litiges.
La lettre de change est l’un des principaux “moteurs” du développement du commerce international. En effet au VIIè siècle les pièces connues se limitent au dinar musulman, au nomisma byzantin, hérité du solidus romain, et aux pièces d’argent frappées en occident. Puis se produisent les réformes de Charlemagne qui reprend la frappe de l’or et stabilise celle de l’argent par la consolidation du denier qui correspond à 1/240 de livre et qui caractérise les Xè, Xiè et XIIè siècle. Malheureusement la variation du poids du denier, la proportion de l’or dans la pièce et surtout la hausse des prix associé à la dévaluation de cette monnaie accroissent la fortune des changeurs et compliquent les échanges. Ce sont les compensations mises au point par des hommes d’affaires italiens à la fin du XIIè siècle qui donnent naissance aux paiements par transfert et à la banque de dépôt, ces nouveaux moyens d’échange devenant nécessaires face à l’augmentation du trafic qu’illustrent bien les foires de Champagne (six par an au XIè siècle) et les Croisades (accroissement des échanges).
Au XIIIè siècle les besoins de grosses pièces entraînent une révolution monétaire et donc la création de nouvelles pièces d’argent (Venise en 1203, la France avec le tournoi d’argent en 1266 dont le poids égale 4,22gr d’argent) et de nouvelles pièces d’or (Florence avec le florin en 1252, Venise avec le ducat et la France avec le mouton d’or sous Philippe le Bel).
C’est au XIVè siècle, face à la complexité des problèmes de comptabilité entre les pièces, que des sociétés italiennes comme les Bardi ou les Peruzzi assoient leur fortune sur des procédés tels que la lettre de change, ou l’assurance que l’on commence à utiliser pour le commerce maritime et sur les prêts qu’elles consentent tant aux papes qu’aux rois d’Angleterre.
En ce début de XIVè siècle l’essor du commerce international facilité par la mise en place de techniques nouvelles (assurance, banque, lettre de change et même aval et endossement) dessine les contours de formes déjà modernes du commerce et donne naissance à une lex mercatoria (loi marchande) internationale. Malheureusement la peste, la guerre de Cent ans et les famines entraînent au cours de ce siècle une regression économique et l’apparition de droits commerciaux nationaux.
Au cours du XVè et du XVIè siècle ce droit national lié à la nouvelle idée de nation est fortement combattu par les souverains qui y voient une “anomalie”. En effet l’accroissement de leur l’autorité et celui du contrôle qu’ils exercent dans la manière dont la justice est rendue dans leur royaume fait que ce droit spécial accordé aux marchands semble faire figure de “double emploi” voire d’inutilité alors qu’un droit “civil” national fonctionne déjà fort bien. Ainsi en 1563 est créé par édit (Michel de l’Hospital) un premier tribunal “royal” de commerce permanent, composé de juges commerçants élus : le tribunal du Châtelet à Paris.
C’est au XVIIè siècle, sous Louis XIV, que Colbert tente une codification du droit commercial en 1673 par ses Ordonnances sur le commerce de terre (Code Savary) puis en 1681 par ses Ordonnances sur le commerce de mer. Le droit commercial est alors “nationalisé” et son autonomie restreinte. En France la présence du droit féodal, c’est-à-dire la cohabitation de droit coutumier au nord de la Loire et de droit écrit au sud, empêche toute codification du droit civil et par voie de conséquence la disparition du droit commercial qui s’applique désormais aux professions commerciales organisées dans des classes ou corporations, au même titre que les nobles, et à l’intérieur desquelles sont fixées les conditions d’accès, les devoirs professionnels et la discipline.
Au XIIIè siècle les révolutionnaires au nom de l’égalité entre les citoyens et de la liberté individuelle (liberté, entre autres, d’exercer le métier de son choix) font voler en éclats les “états” (clergé, noblesse, tiers état) et les corporations (1791), installent définitivement le droit civil en lieu et place du droit féodal et proclament le principe de la liberté du commerce, de l’industrie et de la libre concurrence.
Au XIVè siècle, sous Napoléon, un nouveau progrès est réalisé dans la voie de l’assimilation du droit commercial au droit civil lorsque, en 1807, le code de commerce rejette l’idée d’un statut spécial privilégié, reconnu aux commerçants, et qu’il voit dans le droit commercial, désormais, le droit des actes de commerce, non plus celui des marchands.
Au XIXè et au XX è siècles le développement de l’industrie a fortement démontré les insuffisances voire les manquements du Code de commerce de 1807, ce qui entraîne de la part du législateur un travail permanent de remaniement et d’extension.
Sur la période d’un millénaire le droit commercial à élargi son domaine de compétences du secteur des échanges entre individus-commerçants à celui des échanges économiques entre des sociétés commerciales internationales voire des nations.
De nos jours ce droit évolue sans relâche et doit tenir compte de l’extension de son domaine sous la forte influence de l’économie (droit de l’entreprise, droit des affaires), et de l’apparition de droits nouveaux (droit bancaire, droit de la distribution, droit de la concurrence, droit du travail, droit des effets de commerce, droit de la propriété industrielle, droit des procédures collectives, droit boursier, droit européen des affaires, droit de l’assurance, droit de la consommation).
Ainsi le développement de la mondialisation et la rapidité croissante des échanges et des transactions font que ce n’est plus seulement le secteur du commerce que le droit commercial doit désormais encadrer mais l’ensemble de l’économie et de ses nombreux acteurs tels que, entre autres, les groupements, les entreprises privées ou publiques, les salariés, les assurés et les consommateurs.
Laurent Leloup
www.collectys.com (le logiciel de recouvrement)