Laurence Vincent (Karistem) : « Les relocalisations industrielles sur le marché automobile s’inscrivent dans une dynamique positive mais toujours incertaine »
Boulogne-Billancourt, le 3 octobre 2014. Suite à un partenariat avec le groupe Bolloré, Renault va prochainement assembler dans son usine de Dieppe (Seine Maritime) les célèbres Bluecar qui, jusqu’à présent, étaient uniquement fabriquées en Italie. Cet exemple de relocalisation industrielle est-il un épiphénomène ou bien une tendance de fond sur le marché automobile français ?
L’exemple de la Bluecar est plutôt symbolique car les volumes de production restent faibles (2 000 véhicules produits depuis le lancement d’Autolib’ à Paris en 2011). Toutefois, le système des voitures électriques en libre-service a été déployé à Lyon et à Bordeaux, tandis qu’un nouveau modèle décapotable 3 places devrait être lancé en juin prochain, augmentant du même coup les besoins en termes de production. De plus, d’autres annonces de relocalisation devraient suivre. En effet, dans le cadre des accords de compétitivité proposés l’an dernier par le gouvernement, Renault et PSA se sont engagés à maintenir leurs sites industriels en France et à augmenter leur production de véhicules dans l’Hexagone : près de 710 000 pour Renault et un million pour PSA d’ici à 2016, soit respectivement 42% et 11% de plus que leur production nationale actuelle. Les relocalisations industrielles sur le marché automobile français s’inscrivent donc dans une dynamique positive mais toujours incertaine. Rappelons tout de même que la France est passée en 10 ans du 4ème au 10ème rang mondial en matière de production automobile, et que Renault produit aujourd’hui à peine 20% de ses véhicules sur notre territoire, et PSA 35%…
Pourquoi les constructeurs automobiles ont-ils tant délocalisé, avec à la clé des avantages certains mais aussi une prise de risque plus importante ?
Un des objectifs de la délocalisation est de se rapprocher des clients finaux et de réduire ainsi les coûts logistiques et droits de douane élevés sur les importations, comme en Chine ou Amérique du Nord par exemple. Un autre objectif, et pas des moindres, est de gagner en compétitivité. Voilà pourquoi Volkswagen produit la Mini Cooper en Slovaquie, Fiat assemble sa 500 en Pologne, Peugeot fabrique la 107 en République Tchèque et Renault choisit la Turquie pour concevoir une partie de ses Clio… Sur ce dernier modèle, l’écart de coûts entre productions française et turque est de 1 300 euros, principalement en raison des niveaux de rémunérations dans chacun des deux pays, de la fiscalité, ou encore des politiques sociales et environnementales moins contraignantes en Turquie. Il faut savoir cependant que plus un véhicule est haut de gamme ou innovant, plus les écarts de coûts sont lissés entre les pays développés et émergents.
En matière de délocalisation, il faut néanmoins se méfier des coûts cachés et autres aléas conjoncturels qui peuvent diviser par 3 ou 4 les gains de productivité escomptés. Par exemple, en Chine, les salaires augmentent de plus de 10% par an, encouragés par le pouvoir. Les taux de productivité sont généralement plus faibles dans les pays émergents, malgré la formation de la main d’oeuvre, et il faut ajouter les difficultés liées au management des équipes à distance. Tous ces facteurs sont à intégrer si l’on raisonne en coût complet, de même que la hausse du carburant et l’impact environnemental, les délais de livraison qui augmentent les frais de transport et de stockage, les éventuels problèmes qualité (avec parfois des taux de non-conformité jusqu’à 20%), les retards de livraison, etc…
Les relocalisations industrielles sont-elles, au final, une solution d’avenir ?
Aujourd’hui, rapatrier ses productions en France ne semble pas tant utopique que cela, si l’on tient compte des coûts cachés de la délocalisation, des progrès en matière d’automatisation et d’efficacité industrielle (grâce au lean management notamment), sans parler de la prise de conscience des consommateurs autour du Made in France. Malheureusement, cela ne suffit pas toujours et certains coûts importants demeurent, comme peuvent en témoigner certaines entreprises aux Etats-Unis où la tendance des relocalisations est également initiée. Par exemple, Motorola a décidé d’assembler ses nouveaux smartphones au Texas. Or cet assemblage final « made in USA », qui ne représente que 10% du coût total de la fabrication d’un appareil, coûte plus cher à la firme américaine que si ces smartphones étaient directement assemblés en Asie, là où les différents composants sont majoritairement fabriqués. De même, pour General Electric ou Flextronics, des difficultés mal anticipées ou sous-estimées sont apparues. En effet, ces entreprises ont dû faire venir d’Asie et du Mexique des profils spécifiques, opérateurs en métallurgie ou ingénieurs en automatisation, introuvables aux Etats-Unis ! Elles ont également fait face à un important turn-over dans leurs usines (plus de 20% sur un an), car de nombreux salariés américains étaient peu habitués au rythme de travail demandé. La robotisation des usines peut palier partiellement à ces problèmes. Mais bien souvent, seule la main d’oeuvre, d’où qu’elle soit, permet une flexibilité suffisante pour adapter la production, suivre les tendances et lancer de nouveaux modèles.
—
Manager au sein du Pôle Supply Chain de Karistem Corporate Consulting, Laurence Vincent possède près de 10 ans d’expérience dans le conseil en achats et supply chain. Elle intervient principalement sur des missions d’optimisation de la performance achats et d’excellence opérationnelle Supply Chain dans les secteurs de l’Automobile, du Transport Maritime, de l’Agroalimentaire et des Médias.
—
Karistem Corporate Consulting en quelques mots
Karistem Corporate Consulting (KCC) est un cabinet de conseil en stratégie, transformation et excellence opérationnelle. Depuis 2004, KCC élabore et met en oeuvre les grands projets de transformation portés par les Directions Générales visant à améliorer la compétitivité du coeur de métier et / ou à aligner les fonctions support sur la stratégie de l’entreprise. La méthode KCC est orientée résultats et met l’humain au coeur de chaque transformation. KCC s’engage d’une part sur l’implication et l’appropriation du changement par le plus grand nombre et, d’autre part, sur des résultats rapides, majeurs et durables.
www.karistem-consulting.com