FAUT-IL BRÛLER LE SYSTEME QUALITE DE TOYOTA ? Doit-on brûler le TPS et jeter l’opprobre sur Toyota ?
« Toyota, le chantre du zéro défaut, rappelle des millions de véhicules dans le monde entier. Le petit fils du fondateur de Toyota contraint de présenter ses excuses devant toute la presse internationale et de convaincre : Croyez-moi les voitures Toyota sont sûres… »
Tout cela fait un peu désordre dans une entreprise ayant bâti tout son succès commercial sur une image de qualité et de fiabilité qui lui a permis de détrôner en 2007 le n°1 des constructeurs automobiles, General Motors.
La clé du succès de Toyota repose sur le Toyota Production System (TPS, cf. illustration 1) dont les principes fondateurs sont :
le lissage de la production (Heijunka)
l’amélioration continue (Kaizen)
la qualité à la source via la détection automatique des erreurs (Jidoka)
la stabilité et la standardisation.
Doit-on pour autant brûler ce TPS et jeter l’opprobre sur Toyota, comme ses principaux concurrents sont bien entendus tentés de le faire ?
Au lieu de tirer des conclusions hâtives et subjectives, posons nos valises, et appliquons à la situation un des principes fondateurs de la pensée Lean, chère à Toyota, en ne « sautant » pas à la solution sans avoir même posé le problème. Allons sur le terrain (Gemba) et tentons d’appréhender de nos propres yeux (Genchi genbutsu) la situation. Que s’est-il donc passé ?
1. Une erreur de production ?
Les problèmes ont été détectés après plusieurs mois, voire années, de circulation des véhicules.
Après analyse, il s’est avéré que les éléments défectueux (accélérateurs et freins, notamment) avaient été produits par plusieurs chaînes de production différentes.
Ces deux points tendent à pointer du doigt un problème de conception, plutôt que de production. Des éléments mal conçus à l’origine auraient donc été produits de façon correcte. Plutôt donc que remettre en cause le processus de production TPS, penchons nous donc sur le périmètre d’application des principes du TPS, notamment où commence le TPS ? Pourquoi l’appliquer uniquement à la production et ne pas appliquer certains de ses principes à la conception des pièces ?
2. Des difficultés liées à l’application universelle des principes TPS, dans une entreprise mondialisée et à la croissance exceptionnelle ?
Depuis sa création en 1937, Toyota a connu une croissance phénoménale, pour passer de simple fabricant de métiers à tisser au prestigieux statut de numéro 1 mondial de l’automobile.
Quelques chiffres pour illustrer cette réussite : plus de 320 000 employés, 522 filiales consolidées, 53 centres de production dans 27 pays et régions en dehors du Japon, commercialisation dans plus de 170 pays…
Une des questions légitimes que tout un chacun peut se poser est « Toyota n’a-t-il pas voulu grandir trop vite ? ». Ou encore « A-t-il les moyens d’assurer le respect des mêmes standards de production dans l’ensemble de ses usines ? »
Le modèle économique des constructeurs automobiles repose sur un arbitrage continu entre une équation extrêmement complexe à trois inconnues : qualité élevée, ressources restreintes au maximum et rapidité de la mise sur le marché.
Face à la concurrence acharnée sur le secteur de l’automobile, c’est cet équilibre fragile qui semble avoir été bousculé, notamment du fait du recours à de nombreux fournisseurs avec un moindre maîtrise de la qualité par Toyota.
3. Un défaut dans le processus de communication ?
Les reproches faits à Toyota ont été très nombreux : communication tardive, voire arrogante, par un management réfugié dans sa « tour d’ivoire », refusant de reconnaître la réalité, et donc d’infléchir sa stratégie malgré les évidences.
Toyota n’aurait-il pas ici oublié quelques fondamentaux de son propre système (cf. illustration 2) : prise en compte de la voix du client, correction immédiate des erreurs, transformation des « problèmes » en opportunités…?
Une nouvelle fois, ne faudrait-il pas étendre le périmètre du TPS, cette fois-ci au processus de décision, pour éviter « l’effet de gel* » ? Celui-ci consiste à maintenir une décision même si les effets escomptés ne se produisent pas.
Toyota a indubitablement été ébranlé pas ces incidents répétés. Toyota restera pourtant un exemple de réussite industrielle et le TPS une source d’inspiration pour ses concurrents, mais il faudra que Toyota tire les leçons de ces incidents comme autant d’opportunités.
Pour identifier les enseignements que Toyota doit tirer de ces récents évènements, référons-nous à nouveau aux 10 commandements de la pensée Lean (cf. illustration 2) :
* l’effet de gel est particulièrement bien décrit dans l’ouvrage Petit Traité de Manipulation à l’usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvos, aux éditions PUG)
Référons-nous à la pensée Lean pour tirer les enseignements de cette situation
1. Les « problèmes » sont des opportunités
Toute crise doit être utilisée comme une opportunité d’une remise à plat sans concession des principes et des méthodes.
Les questions que Toyota devrait à ce titre se poser dans le cas présent être les suivantes :
– Intégrons-nous de façon suffisante les fournisseurs dans notre système de production ?
– A quoi devons-nous appliquer les principes du TPS ? Devons-nous l’étendre à la conception ? A nos processus de décision ?
– L’équilibre entre vitesse / qualité / ressources est-il correctement piloté ?
2. Se concentrer sur la recherche de solution pour l’avenir plutôt que de s’excuser ou de chercher des responsables
Le TPS a été construit par itération sur une période longue de plus de 60 ans grâce notamment à l’apport extrêmement précieux de l’ingénieur Taichii Ohno.
Ce TPS est assez puissant pour être questionné sans cesse, voire remis en cause, l’amélioration continue devant s’appliquer tant au processus de production qu’à la méthodologie elle-même.
Le TPS ne continuera à améliorer son efficacité et son exemplarité qu’à la condition qu’il sache se remettre en cause et se réinventer, en s’appuyant sur ses fondamentaux, comme le questionnement perpétuel, avec modestie et un rôle central donné au client.
Ce dernier devant être non seulement écouté, mais aussi entendu…
Illustrations
1. TPS
2. Les 10 règles Lean Kaizen
1. Se concentrer sur la recherche de solutions d’améliorations à mettre en oeuvre plutôt que de s’excuser ou de chercher des responsables
2. Toujours réfléchir à comment faire, plutôt que d’expliquer pourquoi il n’est pas possible de faire
3. Chercher des solutions simples, pragmatiques et atteignables, aux résultats visibles de tous, et non pas des solutions parfaites
4. Développer la créativité plutôt que de recourir systématiquement à des solutions coûteuses (systèmes informatiques / outils, par exemple)
5. Remettre en cause les idées fixes et l’état actuel des choses
6. Corriger les erreurs immédiatement
7. Se convaincre que les « problèmes » sont des opportunités
8. Aller au fond des choses (grâce au « 5 Pourquoi », par exemple)
9. Aller chercher les idées auprès de tous
10. L’amélioration est continue et infinie…
A propos de Marc Sabatier, Co-fondateur et associé de SterWen Consulting
Associé et co-fondateur de SterWen Consulting en 1996, Marc Sabatier a débuté sa carrière au contrôle de gestion d’EADS.
Il rejoint ensuite Ernst & Young Conseil en 1989 où il réalise des missions d’audit de systèmes d’information, de restructuration industrielle, et d’organisation bancaire.
En 1994, il intègre la Caisse des Dépôts et Consignations pour structurer et mettre en oeuvre le schéma directeur des systèmes d’information sur les activités bancaires et financières de l’établissement.
Marc Sabatier est spécialisé dans la définition et la mise en oeuvre de stratégies, les programmes d’amélioration de performances liant des aspects processus, organisation et systèmes d’information, ainsi que le pilotage de programmes complexes.
Il conduit de nombreuses missions dans les secteurs bancaire, financier, de l’assurance et de la protection sociale, apportant sur ces métiers une valeur ajoutée supplémentaire par sa connaissance approfondie de leurs enjeux spécifiques.
Marc Sabatier est diplômé de l’Ecole Centrale de Nantes et de l’IAE de Paris.
A propos de Hélène HUBERT, consultante senior chez SterWen Consulting
Manager chez SterWen Consulting, Hélène Hubert a débuté sa carrière en 1998 à la Caisse Centrale des Banques Populaires, avant de rejoindre la Banque du Louvre en 2000 puis Louvre Gestion où elle a occupé des fonctions de Responsable de Contrôle Interne et de RCSI. En 2005, elle part chez HSBC France pour intervenir principalement sur des missions d’optimisation de processus et d’organisation et de transformation en tant qu’organisateur conseil Black Belt Lean Six Sigma. Elle rejoint SterWen Consulting en 2007 pour créer l’offre Lean Six Sigma.
Elle intervient aujourd’hui sur des missions de conduite de projets d’amélioration de l’efficacité opérationnelle (processus et organisation), d’accompagnement au changement, de formation et de coaching des équipes opérationnelles et des chefs de projets ainsi que de pilotage de grands projets.
Elle est co responsable de l’offre SterWen Consulting à destination des acteurs du Lean Six Sigma.
Hélène Hubert est titulaire d’un DESS d’Audit et est diplômée de Sciences Po Rennes (option Eco Fi).